19 septembre 2025

Réseaux sociaux & culture underground : catalyseur ou coup de frein ?

Quand l’underground sort de l’ombre : la force de frappe des réseaux sociaux

Rares sont les outils qui ont autant dynamité les frontières que les réseaux sociaux. Les barrières techniques tombent : plus besoin d’un intermédiaire, plus besoin de gros moyens. Une track postée sur SoundCloud, un clip balancé sur Instagram, un live tapé en direct, et tout peut s’embraser. L’underground, d’espace confinée, trouve un mégaphone XXL. Les réseaux, c’est le skatepark mondial : chaque crew, label, ou artiste peut buzzer, fédérer, influencer.

  • Accessibilité directe : Fini le temps où il fallait supplier les radios pirates ou fureter dans les bacs obscurs pour accrocher une oreille. Un compte, une vidéo, et la connexion se fait, instantanée, brute.
  • Rayonnement inédit : Un DJ de Detroit peut connecter avec une productrice de Berlin en trois hashtags. Certaines scènes (l'afro-house en Afrique du Sud, le footwork à Chicago) explosent en dehors de leur fief grâce au relais numérique (Pitchfork, 2016). Le global est devenu local. Et inversement.
  • Communautés vivantes : Facebook, Discord, Telegram, forums Reddit : derrière l’écran, ça partage des bootlegs, monte des événements secrets, échange des tips de matos. La culture DIY trouve une extension naturelle. Preuve ? Plus de 70% des collectifs interrogés en France en 2022 déclaraient organiser une partie de leurs événements via ces réseaux (Nouvel Obs, 2022).

Visibilité brutale, identité fragilisée ? Les revers (parfois acides) de la médaille

Montée en puissance, oui. Mais à quel prix ? Les codes underground étaient ceux de l’ombre, du select, du bouche-à-oreille bien crypté. La viralité a tout rebattu. Aujourd’hui, être ‘underground’ peut devenir une pose, une stratégie de marketing. Le vrai questionnement est là : le réseau social sublime-t-il ou avale-t-il l’underground ?

  • La hype tueuse : Un son rare, un événement secret, tout peut se retrouver surexposé en deux stories. La surmédiatisation érode la magie, et parfois l'intégrité. Fenêtre à double tranchant : ce qui fait vibrer la niche peut finir sans saveur sur les feeds mainstream.
  • Algorithme et neutralisation : Les plateformes poussent ce qui clique. Tandis que TikTok propulse certains morceaux en 24h grâce à des challenges, on voit des artistes adapter leur durée de morceau ou leur visuel pour correspondre aux tendances du moment (Vice, 2020). L’exception devient le standard, la forme prend le dessus sur le fond.
  • Essoufflement de l’authenticité : Montrer, documenter, teaser : le geste prime sur la musique. Il faut performer, vendre, « poster » plus que créer. Selon une étude DJ Mag (2021), 68% des DJ électro indépendants ressentent la pression de produire du contenu pour exister, bien avant celle de produire la musique elle-même.

Plateformes : territoires d’expression ou cage dorée ?

Chaque réseau impose ses règles – temps de lecture sur Facebook, formats verticaux sur TikTok, hashtags calibrés sur Instagram. Ce balisage algorithmique, c’est la tentation de l’uniformité. D’un côté, un terrain de jeu planétaire ; de l’autre, un ring balisé. Peut-on encore casser les codes, ou doit-on en jouer pour rester « visible » ?

  • Le format avant l’expérimentation : La vidéo compte plus que l’audio pur. De plus en plus de labels underground lancent leurs propres contenus visuels pour survivre : le vinyle devient un objet d’Instagram, le morceau un « snippet » pour reels. Le risque ? La dictature du format court, de la punchline visuelle.
  • Shadowban, censure et contrôle : Certains contenus sont pénalisés sans explication ni recours. De nombreux collectifs techno ou queer ont été shadowban à répétition sur Instagram, sous prétexte de « non respect des règles » (Hypebeast, 2022). La scène percutante est vite reléguée sous le tapis numérique.
  • Centralisation trompeuse : Malgré la promesse d’une « démocratisation », on observe une concentration des audiences. En 2023, 84% des streams SoundCloud étaient générés par 5% des artistes. Un effet star-system bis, sous des dehors alternatifs (Music Business Worldwide, 2023).

Autopromo, storytelling, l'après-do-it-yourself

Côté positif, ces nouveaux outils décuplent la créativité, mais imposent d’autres skills : l’artiste underground d’aujourd’hui est aussi community manager, storyteller, expert du grillage d’algorithme. Loin du cliché ermite, le musicien doit aussi savoir hacker sa visibilité.

  1. Offensive collective : De nombreux labels, clubs et collectifs jouent la carte des « takeover », des stories partagées, pour mutualiser leurs communautés. En 2021 lors du Boiler Room Festival, la majorité des artistes participants a gagné entre 10% et 30% de followers en 48 heures, preuve de cette dynamique.
  2. L’art de la mise en scène : Les collectifs berlinois comme Berghain restent absents des réseaux, et cultivent leur mythe. A l’inverse, les crews queer ou DIY de Londres documentent tout, font de l’inclusivité et de la transparence des armes de ralliement, multiplient les vidéos pédagogiques, et créent de véritables écosystèmes engagés.
  3. La résilience underground : Quand un réseau ferme la porte, la scène s’adapte. L’arrivée du groupe Telegram, la résurgence de Reddit, voire le retour à la newsletter, montrent que la culture underground mute, bifurque, court-circuite sans cesse les carcans des plateformes.

Vers une hybridation assumée ?

Impossible aujourd’hui d’ignorer la puissance d’outils comme Instagram, TikTok ou SoundCloud (en 2022, TikTok a généré 629 milliards de vues de vidéos sur les hashtags #electronicmusic et #underground, chiffre Music Industry Blog, 2022). Mais toutes les scènes ne réagissent pas pareil : là où certaines se laissent formater, d’autres trouvent dans la tension entre exposition/dissidence la vraie vitalité.

Le futur, c’est peut-être ça : un underground conscient de ses outils, rétif à la récupération, mais prêt à hacker l’algorithme comme une platine. Ce sont les réseaux sociaux qui offrent la possibilité de rester hors-champ, tout en existant, créant des ponts improbables entre scènes, générations et continents.

  • Quelques pistes à suivre :
    • Développer des espaces indépendants (Bandcamp fait mieux que tous pour les sorties DIY, résistances multiples aux codes des majors).
    • S’appuyer sur les réseaux seulement pour teaser, puis ramener vers des plateformes privées ou IRL.
    • Favoriser la transmission – tutoriels, masterclass, formats documentaires – qui échappent à la simple logique du « buzz ».

Pas de nostalgie, pas de refus en bloc : la mutation est en route. À chaque acteur de l’underground de transformer les réseaux en caisse de résonance, pas en miroir déformant. La vitalité du mouvement se mesurera toujours dans sa capacité à s’inventer, hors ligne… comme en ligne.

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