7 juillet 2025

Londres underground : parcours sans retour dans les lieux qui ont forgé la légende

Le berceau : 100 Club, la tradition explosée

Impossible de débuter ce chemin sans remonter à la source. Au 100 Oxford Street trône le mythique 100 Club. Ouvert en 1942, d’abord refuge du jazz, puis incubateur du punk, du reggae, du ska et de toutes les révoltes soniques possibles. C’est ici, en septembre 1976, que le légendaire 100 Club Punk Special propulse les Sex Pistols, The Clash, Siouxsie and the Banshees… sur le devant d’une scène appelée à tout retourner (BBC Culture). L’adresse incarne l’héritage des lieux hybrides : ni tout à fait bar, ni salle de concert classique, mais un catalyseur.

  • Depuis 80 ans, le 100 Club n’a jamais changé de nom ni d’emplacement.
  • En 1976, l’événement Punk Special réunissait 600 personnes sur deux jours – une explosion de sueur et de feedback.
  • En 2010, Paul McCartney a insisté pour y jouer « comme au bon vieux temps ».

Son authenticité a inspiré d’innombrables lieux alternatifs à travers l’Europe, donnant naissance à une scène qui ne sépare jamais le public de l’artiste.

Warehouse parties & illegal raves : la révolution en périphérie

Flashback, fin 80’s. La scène clubbing officielle s’essouffle, les kids inventent autre chose. Londres s’enflamme autour des illegal warehouse parties, ces fêtes clandestines qui ont redéfini le rapport entre espace urbain et musique.

  • Le phénomène explose autour de King’s Cross, d’Old Street, des docks de Southwark. Friches industrielles, parkings sous-terrain, immeubles désaffectés…
  • Légendaire entre tous : l’Astoria (Charing Cross Road), haut lieu des raves et temple de la contre-culture jusqu’à sa démolition en 2009 (The Guardian).
  • Un chiffre : en 1989, la police estime à plus de 20 000 le nombre de participants à la rave « Energy » près de Stratford – événement qui marquera à jamais l’histoire techno britannique.

La violence institutionnelle suit : le Criminal Justice and Public Order Act de 1994 cible explicitement “la diffusion répétitive de sons électroniques”. Mais l’esprit des raves ne vacille pas. Il se réinvente sans cesse, forgeant une légende collective aussi politique qu’artistique.

Fabric et The End : clubs, labyrinthes et mutation de la nuit

Années 90’s, l’underground se professionnalise, sans jamais renier ses racines. Fabric, ouvert en 1999 dans une ancienne chambre froide à Farringdon, bouleverse tous les codes :

  • Trois salles, un système sound d’une puissance inédite à l’époque, line-up qui mélange techno internationale et pointures locales.
  • Fabriclive, la série de compilations aux tracklists radicalement ouvertes : drum’n’bass, breakbeat, dubstep…
  • En 2016, la fermeture forcée (qui suscite 150 000 signatures sur une pétition), puis sa renaissance (Mixmag).

Juste avant, entre West Central Street et Charing Cross Road, The End (1995-2009) se taille une réputation légendaire. Imaginé par Mr C (ex-Shamen), ce club-cave abolit la frontière entre clubbers et DJs : la booth centrale devient un ring, chaque soirée un acte de guerre sonore.

Club Période d’activité Genres phares Capacité
Fabric 1999–aujourd’hui Techno, DnB, house, bass 2000
The End 1995–2009 Techno, house, breakbeat, jungle 1000

Melt et Plastic People : la subversion des petits formats

Loin des grandes salles, certaines adresses minuscules ont eu un impact démesuré. Mention spéciale à Plastic People, petit club d’Hoxton aux allures de bunker. Consacré en « meilleur sound system de Londres » par de nombreux producteurs (dixit Resident Advisor), il a incubé la scène dubstep avec les nuits FWD>>, accueillant Digital Mystikz, Skream, Benga ou encore Kode9.

  • Limitée à 200 personnes, la salle imposait un black-out total : pas de photos, pas d’annonce de line-up à l’avance, présence brute, pas de spectacle.
  • Fermé en 2015, son héritage continue à chaque nouvelle vague clubbing.

Plus récemment, Melt — lieu mobile et conceptuel — s’est imposé comme laboratoire. Pas d’adresse fixe : squats, rooftops, galeries désaffectées… Son agenda s’écrit à la craie : garage, ambient, post-punk, lives modular synth. Ici la scène est mouvante, affranchie de toute logique commerciale. On ne réserve pas, on y arrive par text message ou QR code. Les frontières s’effacent, chaque set est une expérience.

Dalston, Hackney Wick : quartiers mutants, nouveaux bastions

Au tournant des années 2000, les lieux alternatifs migrent à l’est. Dalston devient la Mecque du DIY et de l’expérimental. Café OTO — institution jazz/noise/improvisation sur Ashwin Street — attire tout ce que Londres compte de chercheurs sonores : Thurston Moore, Mats Gustafsson, Sun Ra Arkestra. Les sessions sont enregistrées live, publiées sur place.

  • Depuis 2008, Café OTO a programmé plus de 2500 concerts (selon la structure même), lançant des disques en direct, brisant la barrière scène/public.

Toujours plus à l’est, Hackney Wick explose avec un modèle unique : anciennes usines converties en studios, galeries ouvertes, micro-clubs qui mélangent art, rave, food, cinéma. The Yard, Grow, et autres spots mouvants jouent la carte du collectif : pas de hiérarchie, tout le monde monte, démonte, et propage l’esprit collaboratif.

The Scala, Ministry of Sound, et l’hybridation permanente

The Scala, à King’s Cross, est l’archétype du caméléon londonien. Cinéma porno dans les 70s, squat arty, espace punk, puis club culte où, à l’aube des années 2000, s’invente la drum’n’bass britannique avec les résidences de LTJ Bukem et Fabio. Chaque mur transpire son histoire, chaque soirée écrit un nouveau chapitre.

Difficile d’ignorer l’impact du Ministry of Sound, monstre du Southwark qui, dès 1991, a professionnalisé la nuit tout en captant l’esprit warehouse. Réputé pour avoir importé à Londres la culture house de New York, il est l’un des rares clubs à survivre à toutes les crises du secteur, enregistrant plus de 30 000 passages par semaine à la grande époque (chiffres du Evening Standard).

Squats, collectifs et occupations : la subversion hors-circuit

Londres, c’est aussi une longue tradition de lieux éphémères habités par des collectifs radicaux. Dans les 90’s, le 121 Centre à Brixton devient repaire de l’anarcho-punk, abrite radio pirate et zines DIY. Plus au nord, c’est au Rampart Social Centre que la scène free tekno s’organise, hébergeant raves, expositions, actions politiques et sound systems jusqu’à son expulsion en 2009.

  • Le phénomène squat est endémique à Londres : en 2003, la BBC recensait plus de 100 squats “sonores” actifs rien que dans le centre-ville. Beaucoup ont disparu — mais l’idée survit.

Des graines de cette énergie restent aujourd’hui dans les open-mics queer du Dalston Superstore, les installations du LADA (Live Art Development Agency), ou les flash-raves dans l’underground de Brixton. Dans la capitale britannique, dès qu’un espace se libère, la créativité s’y engouffre.

Au-delà des murs : l’underground londonien, éternel recommencement

L’histoire des haut lieux de l’underground londonien refuse de s’arrêter à une poignée d’adresses. Rien n’est figé, tout évolue. Ce qui traverse les décennies, c’est la capacité de la ville à transformer la répression en ébullition, la gentrification en échange créatif, la fermeture d’un club en naissance d’un autre. Aujourd’hui, de Birmingham à Glasgow, chaque scène indépendante doit beaucoup à l’expérimentation libre menée entre Hackney, Soho et King’s Cross. La nuit londonienne, toujours prête à se réinventer, continue d’inspirer celles et ceux qui écoutent le battement sourd sous les pavés.

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